Dans les climats hivernaux rigoureux, le béton est soumis à des contraintes considérables provenant des cycles de gel et de dégel. Ces cycles répétés, combinés à l’utilisation de sels de déverglaçage, peuvent entraîner des dégradations importantes des structures en béton, réduisant leur durabilité et leur durée de vie. Comprendre les mécanismes physiques de ce phénomène et mettre en place des stratégies préventives efficaces est essentiel pour tout professionnel du bâtiment ou gestionnaire d’infrastructures.
La problématique du gel/dégel touche particulièrement les ouvrages d’art, les murs de soutènement, les chaussées, et même certains bâtiments exposés aux intempéries. Les dégâts occasionnés peuvent aller de l’écaillage superficiel jusqu’à la dégradation profonde de la structure, nécessitant parfois des réparations coûteuses ou même le remplacement complet des éléments affectés.
Pour garantir la pérennité des ouvrages en béton face aux contraintes hivernales, il est crucial d’adopter des approches préventives basées sur une compréhension approfondie des mécanismes en jeu et sur l’application des recommandations techniques adaptées.
Le mécanisme du cycle gel/dégel dans le béton
Principes physiques du phénomène de gel/dégel
Le processus de dégradation du béton par le gel/dégel s’explique par des principes physiques relativement simples. Lorsque l’eau présente dans les pores du béton gèle, son volume augmente d’environ 9%. Cette expansion crée des pressions internes considérables qui peuvent atteindre jusqu’à 200 MPa, bien supérieures à la résistance en traction du béton qui est généralement inférieure à 5 MPa.
Ce phénomène peut être comparé à une bouteille d’eau qui éclate lorsqu’elle est placée au congélateur : l’eau en gelant exerce une pression sur les parois qui finissent par céder. Dans le cas du béton, cette pression se traduit par des microfissurations qui, à terme, conduisent à une dégradation progressive de la structure.
Le mécanisme de gel dans le béton se décompose en plusieurs phases :
- Pénétration de l’eau dans le réseau poreux du béton
- Solidification de l’eau lors de la baisse de température
- Expansion volumique créant des contraintes internes
- Formation de microfissures lorsque ces contraintes dépassent la résistance du matériau
- Élargissement progressif des fissures lors des cycles successifs
La répétition des cycles de gel et de dégel accentue ce phénomène, car chaque nouveau cycle peut exploiter les faiblesses créées lors des cycles précédents, aggravant ainsi progressivement les dommages structurels.

Facteurs aggravants pour la dégradation du béton
Plusieurs facteurs peuvent accélérer ou amplifier la dégradation du béton soumis aux cycles de gel/dégel. Le degré de saturation en eau du béton constitue le facteur critique dans ce processus. Un béton saturé d’eau sera beaucoup plus vulnérable qu’un béton partiellement sec, car il y aura davantage d’eau disponible pour geler et exercer une pression interne.
La vitesse de refroidissement joue également un rôle important. Un refroidissement rapide laisse moins de temps à l’eau pour migrer vers des zones où elle pourrait geler sans causer de dommages, comme les bulles d’air incorporées spécifiquement à cet effet dans les bétons durables.
La fréquence des cycles de gel/dégel constitue un autre facteur aggravant majeur. Les zones climatiques où les températures oscillent fréquemment autour de 0°C sont particulièrement problématiques, car elles exposent le béton à de nombreux cycles dans une même saison hivernale.
L’exposition à l’humidité combinée à des variations de température fréquentes autour du point de congélation représente le pire scénario pour la durabilité du béton, même pour des formulations de haute qualité.
La porosité et la perméabilité du béton influencent directement sa susceptibilité aux dégradations par gel/dégel. Un béton poreux mais peu perméable (avec des pores non interconnectés) sera généralement plus résistant qu’un béton très perméable qui permet à l’eau de circuler facilement dans sa structure.
Impact des sels de déverglaçage sur l’accélération des dommages
Pour maintenir la viabilité hivernale des infrastructures routières, d’importantes quantités de sels de déverglaçage sont répandues chaque année. Si ces produits sont efficaces pour assurer la sécurité des usagers, ils constituent malheureusement un facteur aggravant majeur pour la dégradation des bétons.
Les sels de déverglaçage augmentent significativement les dommages causés par les cycles de gel/dégel, principalement par deux mécanismes distincts. D’une part, ils créent un choc thermique en abaissant brutalement la température de surface du béton (en absorbant la chaleur lors de leur dissolution). D’autre part, ils augmentent la pression osmotique dans les pores du béton, attirant davantage d’eau vers les zones déjà saturées.
Types de sels utilisés et leur agressivité relative
Plusieurs types de sels sont utilisés pour le déverglaçage des infrastructures, chacun présentant un niveau d’agressivité différent vis-à-vis du béton :
- Le chlorure de sodium (NaCl) : le plus couramment utilisé en raison de son faible coût, il est moyennement agressif pour le béton
- Le chlorure de calcium (CaCl₂) : plus efficace à basse température mais plus agressif pour le béton
- Le chlorure de magnésium (MgCl₂) : très agressif chimiquement, pouvant réagir avec la pâte de ciment
- L’acétate de potassium : moins corrosif pour les armatures mais pouvant attaquer la pâte de ciment
- L’urée : moins agressive mais aussi moins efficace comme fondant
Les dosages excessifs en sels, souvent pratiqués dans une logique préventive, aggravent considérablement les dommages causés aux structures en béton. Des études ont montré qu’une concentration en sel d’environ 3-5% provoque les dégradations les plus importantes, bien plus qu’une solution saturée ou que l’eau pure.
Mécanisme d’action combinée sel-gel sur le béton
L’action combinée des sels de déverglaçage et des cycles de gel/dégel crée un phénomène particulièrement destructeur appelé écaillage . Ce processus se caractérise par la désagrégation progressive de la surface du béton, avec détachement de petites écailles de mortier.
Le mécanisme d’action des sels peut être décomposé en plusieurs étapes :
- Pénétration de la solution saline dans les pores du béton
- Création de gradients de concentration provoquant des pressions osmotiques
- Modification de la cinétique de gel (abaissement du point de congélation)
- Augmentation des contraintes internes lors du gel partiel
- Détérioration progressive de la pâte cimentaire en surface
L’effet est particulièrement marqué dans la zone dite de « marnage », correspondant à la hauteur atteinte par les projections d’eau salée sur les structures, comme on peut l’observer sur les piles de ponts ou les murs de soutènement bordant les routes traitées.
Les principaux types de dégradations causées par le gel/dégel
L’écaillage de surface : symptômes et progression
L’écaillage représente la forme de dégradation la plus visible et la plus commune causée par l’action combinée du gel/dégel et des sels de déverglaçage. Ce phénomène se caractérise par un effritement superficiel de la surface du béton, avec détachement progressif de petits morceaux de mortier.
Les premiers signes d’écaillage sont généralement subtils : légère rugosité de la surface, apparition de petites cavités millimétriques, ou présence de fines particules détachées. Sans intervention, l’écaillage progresse par paliers, exposant graduellement les granulats et compromettant l’aspect esthétique de la structure.
Au-delà des considérations esthétiques, l’écaillage constitue une porte d’entrée pour les agents agressifs. L’eau et les sels pénètrent plus facilement dans la structure, accélérant la dégradation et pouvant atteindre les armatures dans le cas du béton armé. La comparaison béton à froid et béton à chaud montre d’ailleurs que les techniques de mise en œuvre influencent significativement la résistance à l’écaillage.
L’écaillage est souvent considéré comme un indicateur précoce de problèmes plus profonds. Une structure qui commence à s’écailler mérite une attention immédiate pour éviter des dégradations plus sérieuses.
La progression de l’écaillage peut être classée en quatre niveaux de gravité :
Niveau | Description | Action recommandée |
---|---|---|
1 – Léger | Quelques écailles isolées, surface peu affectée | Surveillance et éventuelle application d’un scellant |
2 – Modéré | Écaillage sur 5 à 15% de la surface, granulats apparents | Traitement de surface imperméabilisant |
3 – Sévère | 15 à 30% de la surface affectée, perte de matière significative | Réparation localisée du béton de surface |
4 – Très sévère | Plus de 30% de la surface, exposition des granulats grossiers | Réfection complète de la couche superficielle |
La fissuration interne du béton
Contrairement à l’écaillage qui affecte principalement la surface, la fissuration interne due au gel touche la masse même du béton. Ce phénomène, parfois appelé « gel interne », résulte de la pression exercée par l’eau gelée dans les pores de la pâte cimentaire.
Les microfissures internes ne sont généralement pas visibles à l’œil nu dans leurs premiers stades. Elles se manifestent d’abord par une diminution des propriétés mécaniques du béton, notamment sa résistance à la traction et son module d’élasticité. Les méthodes acoustiques non destructives peuvent parfois détecter ces dégradations avant qu’elles ne deviennent visuellement apparentes.
Avec l’accumulation des cycles de gel/dégel, ces microfissures s’élargissent et se propagent, formant un réseau interconnecté qui compromet sérieusement l’intégrité structurelle du béton. À ce stade, des fissures macroscopiques peuvent apparaître en surface, souvent orientées parallèlement à celle-ci.
L’une des caractéristiques les plus préoccupantes de la fissuration interne est son caractère irréversible. Une fois que le réseau de microfissures s’est développé, même les mesures correctives les plus avancées ne peuvent restaurer pleinement les propriétés initiales du béton. C’est pourquoi les stratégies préventives sont particulièrement importantes.
La délamination des structures en béton armé
La délamination représente une forme avancée de dégradation qui touche particulièrement les structures en béton armé. Ce phénomène se caractérise par la séparation du béton en « feuillets » ou couches parallèles à la surface, généralement au niveau des armatures.
Le processus de délamination commence souvent par une corrosion des armatures induite par la pénétration de chlorures provenant des sels de déverglaçage. Les produits de corrosion, ayant un volume supérieur à celui de l’acier d’origine, exercent une pression interne qui, combinée aux contraintes dues au gel, provoque des fissures horizontales.
Les signes révélateurs de délamination incluent un son creux lorsqu’on frappe la surface avec un marteau (test de chaînage), des zones de béton qui semblent se décoller, ou des fissures orientées parallèlement aux armatures. Dans les cas avancés, des morceaux entiers de béton peuvent se détacher, exposant les armatures à l’environnement.
La délamination est particulièrement préoccupante pour les ouvrages structurels comme les ponts ou les dalles de stationnement, car elle peut réduire significativement la capacité portante de l’élément. Elle représente également un risque de sécurité du fait de la chute possible d’éclats de béton.
Détérioration des joints et points de faiblesse
Les joints et discontinuités dans les structures en béton constituent des zones particulièrement vulnérables aux dégradations par gel/dégel. Ces points de faiblesse incluent les joints de dilatation, les reprises de bétonnage, les fissures préexistantes et les interfaces entre différents matériaux.
L’eau s’accumule préférentiellement dans ces zones, créant des conditions idéales pour les dommages liés au gel. De plus, les contraintes mécaniques dues au gel s’y concentrent en raison des discontin uités géométriques qui caractérisent ces zones.
Les joints de dilatation sont particulièrement sensibles car ils doivent à la fois permettre les mouvements de la structure et assurer l’étanchéité. Leur dégradation peut créer des chemins préférentiels pour l’infiltration d’eau et de sels, accélérant la détérioration de l’ensemble de la structure.
Facteurs influençant la résistance du béton au gel/dégel
Composition du béton et rapport eau/ciment
Le rapport eau/ciment (E/C) constitue un paramètre fondamental dans la résistance du béton aux cycles de gel/dégel. Un rapport E/C faible (inférieur à 0,45) produit une structure plus dense et moins perméable, limitant ainsi la pénétration de l’eau et des agents agressifs.
La qualité des granulats joue également un rôle crucial. Des granulats non gélifs, présentant une faible absorption d’eau et une bonne résistance mécanique, contribuent significativement à la durabilité du béton face aux cycles de gel/dégel.
Rôle des adjuvants entraîneurs d’air
Fonctionnement des microbulles d’air dans la protection
Les entraîneurs d’air créent un réseau de microbulles régulièrement espacées qui agissent comme des vases d’expansion, permettant à l’eau de geler sans exercer de pressions destructrices sur la matrice cimentaire. Ces bulles, d’un diamètre typique de 50 à 200 microns, doivent être suffisamment rapprochées pour protéger efficacement la pâte de ciment.
Dosage optimal des entraîneurs d’air
Le dosage en air entraîné doit être soigneusement contrôlé : trop peu d’air ne fournit pas une protection suffisante, tandis qu’un excès peut compromettre les résistances mécaniques. Pour les bétons exposés au gel, on vise généralement un volume d’air de 4 à 7%, avec un facteur d’espacement des bulles inférieur à 200 microns.
Influence de la porosité et de la perméabilité
La distribution des pores dans le béton influence directement sa résistance au gel/dégel. Une porosité fine et discontinue limite la pénétration de l’eau tout en permettant une certaine déformabilité de la structure lors du gel. La perméabilité, quant à elle, doit être maintenue aussi faible que possible pour limiter les mouvements d’eau dans la masse du béton.
Importance de la cure dans la résistance au gel
Une cure adaptée est essentielle pour développer une structure poreuse optimale. Une durée minimale de 7 jours de cure humide est généralement recommandée, cette période pouvant être prolongée en fonction des conditions climatiques et de la composition du béton.
Solutions techniques pour améliorer la durabilité face au gel/dégel
Formulations de béton adaptées aux climats rigoureux
Les formulations spécifiques pour climats froids intègrent plusieurs caractéristiques clés : un rapport E/C limité, des granulats sélectionnés pour leur résistance au gel, et des additions minérales comme la fumée de silice ou les cendres volantes qui densifient la matrice cimentaire.
Traitements de surface et imperméabilisation
L’application de produits hydrofuges ou de revêtements imperméabilisants peut constituer une protection supplémentaire efficace. Ces traitements doivent être choisis en fonction de leur compatibilité avec le béton et des conditions d’exposition spécifiques.
Systèmes de drainage efficaces pour les structures exposées
Un drainage approprié est crucial pour éviter l’accumulation d’eau au contact du béton. Les systèmes doivent être conçus pour évacuer rapidement l’eau et maintenir les surfaces aussi sèches que possible.
Applications spécifiques : chaussées, ponts et infrastructures critiques
Chaque type d’ouvrage nécessite des solutions adaptées à ses conditions d’exposition particulières. Les chaussées en béton, par exemple, bénéficient de la présence de joints correctement dimensionnés et entretenus, tandis que les ponts requièrent une attention particulière à la protection des zones exposées aux sels de déverglaçage.
Normes et méthodes d’essai pour évaluer la résistance au gel/dégel
Essais normalisés de résistance aux cycles gel/dégel
Les essais normalisés permettent d’évaluer la résistance du béton aux cycles de gel/dégel selon des protocoles standardisés. Ces tests incluent notamment la mesure de la perte de masse, l’évolution des caractéristiques mécaniques et l’observation des dégradations visuelles après un nombre défini de cycles.
Méthodes d’évaluation de l’écaillage sous l’action des sels
Des méthodes spécifiques sont utilisées pour évaluer la résistance à l’écaillage en présence de sels de déverglaçage. Ces essais reproduisent les conditions réelles d’exposition et permettent de quantifier la perte de matière en surface.
Recommandations techniques selon les zones climatiques
Les exigences techniques varient selon la sévérité du climat local. Les zones à nombreux cycles gel/dégel nécessitent des prescriptions plus strictes en termes de formulation du béton et de mise en œuvre.
Maintenance préventive et surveillance des ouvrages exposés
Une stratégie de maintenance préventive, incluant des inspections régulières et des interventions précoces, est essentielle pour prolonger la durée de vie des ouvrages exposés aux cycles de gel/dégel. Des techniques de monitoring peuvent être mises en place pour suivre l’évolution des dégradations et optimiser les interventions.