agrégats d'enrobés (AE)

Le recyclage des agrégats d’enrobés (AE) : principes, avantages et techniques

Le réseau routier représente un gisement considérable de matériaux recyclables, notamment les agrégats d’enrobés (AE). Ces matériaux, issus de la déconstruction ou du fraisage des chaussées existantes, constituent une ressource précieuse dans un contexte où la préservation des ressources naturelles et la réduction de l’empreinte environnementale deviennent prioritaires. Le recyclage des agrégats d’enrobés s’inscrit pleinement dans une démarche d’économie circulaire qui transforme ce qui était autrefois considéré comme un déchet en une matière première secondaire de qualité. Cette pratique, qui se développe progressivement depuis les années 1980, connaît aujourd’hui une évolution majeure grâce aux innovations technologiques permettant d’atteindre des taux de recyclage de plus en plus élevés. En France comme en Europe, les exigences environnementales et économiques convergent pour faire du recyclage des AE une composante essentielle de la construction et de l’entretien des infrastructures routières.

Définition et composition des agrégats d’enrobés (AE)

Les agrégats d’enrobés sont des matériaux bitumineux issus du démantèlement ou de la rénovation des chaussées. Ils se composent principalement de granulats minéraux (environ 95% de leur masse) et de liant hydrocarboné vieilli (le bitume, représentant environ 5% de leur masse). Ces matériaux constituent une ressource valorisable qui peut être réutilisée dans la fabrication de nouveaux enrobés, contribuant ainsi à la préservation des ressources naturelles non renouvelables que sont les granulats et le bitume.

Origine et caractéristiques techniques des AE

Les agrégats d’enrobés proviennent de plusieurs sources distinctes. Ils peuvent être issus du fraisage des couches de roulement lors d’opérations d’entretien routier, du concassage de plaques d’enrobés récupérées lors de la déconstruction complète d’une chaussée, ou encore des surplus de production d’enrobé (appelés « blancs ») générés en centrale d’enrobage. La qualité des AE dépend directement de leur origine et des caractéristiques des matériaux d’origine.

Les propriétés techniques des agrégats d’enrobés sont influencées par la nature des granulats contenus dans l’enrobé initial (diorite, basalte, quartzite, etc.) et par les caractéristiques du bitume vieilli. Ce dernier a subi un processus d’oxydation au cours de la vie de la chaussée, modifiant ses propriétés rhéologiques et le rendant généralement plus dur et plus fragile que le bitume neuf. La connaissance précise de ces caractéristiques est essentielle pour déterminer le potentiel de recyclage des AE et les modalités de leur réincorporation dans de nouveaux enrobés.

agrégats d'enrobés (AE)

Classification normative des agrégats d’enrobés

Les agrégats d’enrobés sont encadrés par une norme européenne spécifique, la NF EN 13108-8, qui définit leurs caractéristiques et les exigences auxquelles ils doivent répondre pour être utilisés dans la fabrication de nouveaux enrobés. En France, les spécifications de la norme expérimentale XP 98-135 ont été reprises dans le Guide d’Utilisation des Normes Enrobés à chaud (GUNE) publié par le SETRA en 2008.

Du point de vue réglementaire, les agrégats d’enrobés sont intégrés à la classification des déchets selon l’annexe II à l’article R541-8 du code de l’environnement. Leur statut de déchet implique que leur utilisation est soumise à des conditions précises, définies notamment dans une circulaire du ministère de l’équipement datant de 2009. Cette classification n’empêche pas leur valorisation, mais impose un cadre réglementaire spécifique à leur réutilisation.

La valorisation des agrégats d’enrobés s’inscrit dans une démarche d’économie circulaire visant à optimiser l’utilisation des ressources. Elle permet de transformer ce qui était autrefois considéré comme un déchet en une matière première secondaire de qualité.

Le gisement potentiel d’AE en france et en europe

Le potentiel de recyclage des agrégats d’enrobés est considérable, tant en France qu’en Europe. L’ensemble du réseau routier européen constitue un véritable gisement de matériaux valorisables, dont l’exploitation raisonnée permet de réduire la dépendance aux ressources naturelles non renouvelables.

Estimation des volumes disponibles sur le réseau routier

En France, l’ensemble du réseau routier représente potentiellement un gisement de plusieurs milliards de tonnes d’agrégats d’enrobés. Chaque année, l’Hexagone consomme environ 35 millions de tonnes d’enrobés neufs et génère simultanément 7 millions de tonnes de fraisâts et croûtes d’enrobés issus des opérations d’entretien et de rénovation. Ces volumes considérables soulignent l’importance d’optimiser les filières de recyclage pour valoriser au maximum cette ressource.

À l’échelle européenne, les volumes sont encore plus importants, avec des disparités significatives entre les pays en termes de pratiques de recyclage. Certains pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas atteignent des taux de recyclage particulièrement élevés, tandis que d’autres présentent encore une marge de progression importante dans ce domaine.

Évolution du taux de récupération des matériaux

Le taux de recyclage des agrégats d’enrobés a considérablement évolué au cours des dernières décennies. En 2012, le recyclage des AE était déjà devenu plus systématique qu’auparavant, y compris dans des fabrications à basse température. Aujourd’hui, on considère comme faible un taux de recyclage de 10%, moyen entre 10 et 30%, et fort au-delà de 30%.

Cependant, malgré ces progrès, le taux moyen d’incorporation d’agrégats d’enrobés dans une chaussée neuve reste limité à environ 18% en France, bien que des technologies permettent ponctuellement d’atteindre des taux de 50%. Cette situation tend à évoluer sous l’effet combiné de l’augmentation du prix du bitume, des contraintes d’approvisionnement et de la pression réglementaire en faveur de pratiques plus durables.

Techniques de recyclage des agrégats d’enrobés

Le recyclage des agrégats d’enrobés peut être réalisé selon différentes techniques, qui se distinguent principalement par le lieu de traitement (en centrale ou sur place) et par la température de fabrication (à chaud, à tiède ou à froid). Le choix de la technique dépend de nombreux facteurs, dont la nature et la qualité des agrégats disponibles, les exigences techniques du projet, les contraintes économiques et les considérations environnementales.

Le recyclage en centrale d’enrobage

Le recyclage en centrale consiste à incorporer des agrégats d’enrobés dans la fabrication de nouveaux enrobés bitumineux au sein d’une installation industrielle fixe ou mobile. Cette technique permet un contrôle précis des proportions et de la qualité des matériaux, ainsi qu’une maîtrise optimale du processus de fabrication.

Procédés à chaud : principes et limites

Le recyclage à chaud en centrale implique le chauffage des agrégats d’enrobés à des températures élevées (généralement entre 150°C et 180°C) pour permettre leur mélange avec des granulats neufs et du bitume d’apport. Cette technique est la plus répandue et permet d’obtenir des enrobés recyclés aux caractéristiques proches de celles des enrobés traditionnels.

Cependant, le recyclage à chaud présente certaines limites. Les températures élevées nécessaires pour chauffer les agrégats peuvent entraîner des dépenses énergétiques importantes et générer des émissions de gaz à effet de serre. De plus, la surchauffe des agrégats peut accélérer le vieillissement du bitume qu’ils contiennent, compromettant potentiellement les performances de l’enrobé final. Ces contraintes ont motivé le développement de techniques alternatives, comme l’enrobage à tiède ou à froid.

La technologie des tambours à contre-courant permet d’atteindre des taux d’incorporation d’agrégats d’enrobés allant jusqu’à 50%. Toutefois, cette technique nécessite des températures de chauffe très élevées, ce qui peut entraîner des risques pour les installations et augmenter l’ impact environnemental de la production de l’enrobé à chaud .

Techniques d’enrobage à tiède et à froid

Les techniques d’enrobage à tiède, réalisées à des températures intermédiaires (entre 100°C et 140°C), constituent une alternative intéressante au recyclage à chaud. Elles permettent de réduire la consommation énergétique et les émissions de gaz à effet de serre tout en préservant mieux les propriétés du bitume contenu dans les agrégats d’enrobés.

Le recyclage à froid, quant à lui, s’effectue à température ambiante et utilise généralement des émulsions de bitume ou des mousses de bitume comme liants. Cette technique présente des avantages environnementaux majeurs, notamment une consommation énergétique réduite et des émissions atmosphériques limitées. Cependant, les enrobés produits par cette méthode présentent généralement des performances mécaniques inférieures à celles des enrobés à chaud, ce qui peut limiter leur utilisation à des chaussées à trafic faible ou modéré.

Un exemple de procédé à froid est le Recyclovia développé par Eurovia (groupe Vinci), qui consiste à désagréger par fraisage une chaussée à rénover et à traiter sur place les matériaux à l’aide d’une émulsion ou d’une mousse de bitume avant de répandre et régler le nouveau mélange.

Le recyclage en place des chaussées

Le recyclage en place constitue une alternative au recyclage en centrale. Cette technique consiste à retraiter directement sur site les matériaux de la chaussée existante, sans transport vers une installation extérieure. Elle présente des avantages logistiques et environnementaux significatifs, notamment la réduction des transports de matériaux et la diminution des nuisances associées.

Plusieurs procédés de recyclage en place existent, se distinguant principalement par la profondeur de traitement et le type de liant utilisé. Le retraitement peut concerner uniquement la couche de roulement ou s’étendre aux couches d’assise de la chaussée. Les liants employés peuvent être hydrocarbonés (émulsions ou mousses de bitume), hydrauliques (ciment, chaux) ou mixtes.

Le recyclage en place est particulièrement adapté aux chantiers éloignés des centrales d’enrobage ou aux projets de rénovation de sections routières étendues. Il permet une économie substantielle de matériaux et d’énergie, tout en réduisant la durée des travaux et les perturbations pour les usagers.

Conditionnement et préparation des agrégats d’enrobés

Quelle que soit la technique de recyclage envisagée, les agrégats d’enrobés doivent être conditionnés pour disposer d’une granulométrie adaptée. Ce conditionnement est réalisé soit lors de la déconstruction de la chaussée par fraisage, soit par des opérations ultérieures de concassage et de criblage.

La préparation des agrégats d’enrobés comprend également leur caractérisation physico-chimique, afin de déterminer précisément leurs propriétés (granulométrie, teneur en liant, nature et état du bitume, etc.) et d’adapter en conséquence les formulations des nouveaux enrobés. Cette étape est cruciale pour garantir la qualité et les performances des matériaux recyclés.

Le stockage des agrégats d’enrobés constitue également une phase importante du processus de recyclage. Il doit être réalisé dans des conditions permettant d’éviter la contamination des matériaux et de limiter leur exposition aux intempéries, qui pourrait altérer leurs caractéristiques.

Innovations technologiques et taux de recyclage à 100%

Les avancées technologiques récentes permettent désormais d’envisager des taux de recyclage très élevés, voire de 100%. Eurovia a ainsi développé, dans le cadre de l’appel à projets « Route du futur » lancé par l’ADEME en 2016, un procédé permettant un recyclage total de la route dans la route.

Ce procédé repose sur une usine mobile, la TRX 100, conçue en collaboration avec le constructeur Marini-Ermont (groupe Fayat). Cette installation peut retraiter les matériaux de déconstruction de l’ancienne chaussée avec une cadence compatible avec les exigences d’une opération de maintenance autoroutière. L’enjeu principal consiste à mieux qualifier et élaborer les matériaux à recycler pour en conserver toute la valeur, et à restaurer les propriétés du bitume vieilli grâce à l’emploi d’additifs appropriés.

Un premier chantier expérimental a été réalisé en Gironde, sur l’autoroute A10, avec la mise en œuvre de cette technologie sur un tronçon d’un kilomètre. L’épaisseur complète de la chaussée a été prélevée, recyclée puis remise en place, avec des performances mécaniques et de durabilité identiques à celles d’un enrobé traditionnel. Cette innovation marque un tournant majeur dans les techniques de recyclage des chaussées.

Technique de recyclageTaux maximum d’incorporation d’AETempérature de fabricationApplications principales
Recyclage à chaud en centrale30-50%150-180°CToutes couches, tous trafics
Recyclage à tiède en centrale

Recyclage à tiède en centrale20-40%100-140°CCouches de liaison et de roulementRecyclage à froid en centrale15-30%20-40°CCouches de base, trafic modéréRecyclage en place100%Température ambianteRénovation complète de chaussée

Avantages économiques et environnementaux du recyclage des AE

Le recyclage des agrégats d’enrobés présente de nombreux avantages tant sur le plan économique qu’environnemental. Cette pratique s’inscrit pleinement dans une démarche de développement durable en permettant d’optimiser l’utilisation des ressources tout en réduisant l’impact environnemental des travaux routiers.

Réduction des coûts de matières premières et de transport

L’utilisation d’agrégats d’enrobés permet de réduire significativement les coûts liés à l’approvisionnement en matériaux neufs. Le bitume, dont le prix est directement lié aux cours du pétrole, représente une part importante du coût des enrobés. La réutilisation du bitume contenu dans les AE permet donc de réaliser des économies substantielles.

Les coûts de transport sont également optimisés grâce à la réduction des distances d’approvisionnement, particulièrement dans le cas du recyclage en place. Cette diminution des rotations de camions contribue non seulement à l’économie du projet mais aussi à la réduction des nuisances pour les riverains.

Diminution de l’empreinte carbone des chantiers routiers

Analyse du cycle de vie des enrobés recyclés

Les études d’analyse du cycle de vie (ACV) démontrent que l’utilisation d’agrégats d’enrobés permet de réduire significativement l’impact environnemental des chantiers routiers. La réduction des émissions de CO2 est principalement liée à trois facteurs : la diminution des transports, la réduction de la production de matériaux neufs, et l’optimisation des processus de fabrication.

Comparaison avec les techniques traditionnelles

Par rapport aux techniques traditionnelles utilisant uniquement des matériaux neufs, le recyclage des AE permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 15 à 40% selon les procédés utilisés. Cette réduction est particulièrement marquée dans le cas des techniques à froid ou à tiède, qui nécessitent moins d’énergie pour le chauffage des matériaux.

Contribution à l’économie circulaire dans le secteur routier

Le recyclage des agrégats d’enrobés constitue un exemple concret d’application des principes de l’économie circulaire dans le secteur routier. Cette approche permet de transformer les déchets en ressources, créant ainsi une boucle vertueuse qui limite l’extraction de matériaux naturels et réduit la production de déchets.

Préservation des ressources naturelles non renouvelables

L’utilisation d’agrégats d’enrobés permet de préserver les gisements de granulats naturels et de réduire la consommation de bitume, ressource non renouvelable issue du pétrole. Cette préservation des ressources est particulièrement importante dans les régions où l’accès aux matériaux de qualité devient de plus en plus difficile.

Cadre réglementaire et normatif des agrégats d’enrobés

Statut juridique des AE dans la classification des déchets

Les agrégats d’enrobés sont soumis à une réglementation spécifique qui encadre leur utilisation et leur valorisation. Leur statut de déchet impose des obligations en termes de traçabilité et de contrôle qualité, tout en permettant leur valorisation dans le cadre d’une démarche d’économie circulaire.

Normes techniques applicables aux enrobés recyclés

Les enrobés contenant des agrégats recyclés doivent répondre aux mêmes exigences techniques que les enrobés traditionnels. La norme NF EN 13108-8 définit les caractéristiques que doivent présenter les agrégats d’enrobés pour pouvoir être incorporés dans de nouveaux mélanges.

Exigences environnementales et sanitaires

La réutilisation des agrégats d’enrobés doit respecter des critères environnementaux stricts, notamment en ce qui concerne la présence éventuelle de substances dangereuses. Des protocoles de caractérisation et de suivi sont mis en place pour garantir l’innocuité des matériaux recyclés.

Évolution des réglementations en france et en europe

Le cadre réglementaire évolue régulièrement pour favoriser l’utilisation des matériaux recyclés tout en garantissant leur qualité et leur innocuité. Les objectifs de recyclage sont progressivement revus à la hausse, encourageant le développement de nouvelles techniques et l’optimisation des processus existants.

Études préalables et contrôle qualité des agrégats d’enrobés

Caractérisation physico-chimique des matériaux

La caractérisation des agrégats d’enrobés est une étape essentielle qui permet de déterminer leur potentiel de recyclage. Elle comprend l’analyse granulométrique, la détermination de la teneur en liant, et la caractérisation des propriétés du bitume récupéré.

Évaluation des performances mécaniques

Les performances mécaniques des enrobés contenant des agrégats recyclés sont évaluées à travers une série d’essais normalisés qui permettent de vérifier leur conformité aux exigences techniques. Ces essais portent notamment sur la résistance à l’orniérage, la tenue à l’eau et le module de rigidité.

Contrôles et traçabilité lors de la mise en œuvre

La mise en œuvre des enrobés recyclés fait l’objet d’un suivi rigoureux pour garantir la qualité du produit final. Des contrôles sont effectués à chaque étape du processus, depuis la réception des agrégats jusqu’à la pose du nouvel enrobé.

Suivi des performances dans le temps

Retours d’expérience sur les chantiers expérimentaux

Les chantiers expérimentaux permettent d’évaluer le comportement à long terme des enrobés recyclés dans des conditions réelles d’utilisation. Les retours d’expérience montrent généralement des performances équivalentes à celles des enrobés traditionnels.

Durabilité des chaussées à fort taux de recyclage

Les études de durabilité menées sur des chaussées incorporant des taux élevés d’agrégats d’enrobés confirment leur bon comportement dans le temps. Ces résultats encourageants contribuent à lever les réticences qui pouvaient exister concernant l’utilisation de matériaux recyclés dans les couches de chaussée.