La quête d’énergies renouvelables a pris des chemins parfois inattendus, comme celui des routes solaires. Ce concept audacieux propose de transformer nos infrastructures routières en producteurs d’électricité grâce à des revêtements photovoltaïques. L’idée paraît séduisante : la France compte plus d’un million de kilomètres de routes qui, exposées au soleil la majeure partie de l’année, représentent une surface potentielle considérable pour la production d’énergie solaire. Pourtant, entre promesses ambitieuses et réalités techniques, le chemin des routes solaires s’est révélé plus sinueux que prévu. Examinons ce que révèlent les expérimentations menées en France et à l’international, les défis techniques rencontrés et les alternatives potentiellement plus viables.
L’émergence des routes solaires : contexte et principes techniques
Origine et évolution du concept de chaussée photovoltaïque
Le concept des routes solaires est né au début des années 2000, porté par la volonté de maximiser la production d’énergie photovoltaïque tout en optimisant l’utilisation des espaces déjà artificialisés. Face aux préoccupations croissantes concernant le changement climatique et l’épuisement des ressources fossiles, l’idée d’exploiter le réseau routier existant comme support de production énergétique s’est imposée comme une solution potentiellement révolutionnaire.
Les premières recherches sérieuses ont débuté aux États-Unis avec le projet Solar Roadways en 2006, suivi par les Pays-Bas avec SolaRoad en 2014, puis la France avec Wattway en 2015. Ces initiatives partageaient un objectif commun : développer un revêtement routier capable de supporter le trafic tout en produisant de l’électricité grâce à des cellules photovoltaïques intégrées.
L’évolution du concept a connu une accélération notable lors de la COP21 à Paris en 2015, lorsque la route solaire a été présentée comme une innovation de rupture dans la transition énergétique. Cette période marque le passage de la théorie à l’expérimentation à grande échelle, notamment en France où le projet a bénéficié d’un fort soutien politique et médiatique.
Composition et fonctionnement des dalles solaires routières
Les routes solaires reposent sur une technologie composite associant cellules photovoltaïques et matériaux résistants. La structure typique comprend plusieurs couches : une couche supérieure transparente et résistante, généralement composée de résine ou de verre trempé spécial, une couche intermédiaire intégrant les cellules photovoltaïques, et une base assurant l’adhérence à la chaussée existante.
Le fonctionnement théorique est simple : les rayons solaires traversent la couche supérieure transparente pour atteindre les cellules photovoltaïques qui convertissent cette énergie en électricité. Cette électricité est ensuite collectée, transformée et soit utilisée localement, soit injectée dans le réseau électrique.
La complexité d’une route solaire réside dans sa double fonction : elle doit à la fois produire de l’électricité efficacement comme un panneau solaire classique, tout en résistant aux contraintes mécaniques extrêmes d’une chaussée routière.
Les dalles solaires routières doivent répondre à des exigences contradictoires : transparence pour laisser passer la lumière, mais résistance aux charges lourdes ; adhérence pour la sécurité routière, mais limitation des salissures pour maintenir le rendement énergétique ; durabilité face aux agressions climatiques et mécaniques, mais coût maîtrisé pour assurer la viabilité économique.

Différentes approches technologiques : wattway, solar roadways et SolaRoad
Trois technologies principales se sont distinguées dans le développement des routes solaires, chacune avec ses spécificités :
- Wattway (France) : développée par Colas, cette technologie propose des dalles photovoltaïques de 7 mm d’épaisseur directement collées sur la chaussée existante, sans travaux de génie civil. Composées de cellules de silicium polycristallin enchâssées dans un substrat résistant, elles sont recouvertes d’un revêtement transparent assurant l’adhérence.
- Solar Roadways (États-Unis) : cette approche utilise des dalles hexagonales modulaires intégrant des LED pour la signalisation routière et un système de chauffage pour éviter la formation de glace. Plus complexes, ces dalles visent à offrir des fonctionnalités supplémentaires.
- SolaRoad (Pays-Bas) : ce système repose sur des modules préfabriqués de béton de 2,5 à 3,5 mètres, avec cellules photovoltaïques enchâssées sous une couche translucide de verre trempé spécial. Ces modules sont conçus pour remplacer entièrement la chaussée existante.
Ces trois approches reflètent des philosophies différentes : Wattway privilégie la simplicité d’installation et l’adaptation aux infrastructures existantes, Solar Roadways mise sur la multifonctionnalité, tandis que SolaRoad opte pour une intégration plus profonde mais nécessitant une reconstruction complète de la chaussée.
Défis techniques spécifiques aux revêtements routiers
Les routes solaires font face à des défis techniques considérables qui expliquent en grande partie les difficultés rencontrées lors des expérimentations. Premier obstacle majeur : l’efficacité énergétique. Contrairement aux installations solaires classiques orientées vers le sud avec une inclinaison optimale, les routes sont horizontales, ce qui réduit significativement le rendement des cellules (jusqu’à 30% de perte par rapport à une orientation optimale).
La résistance mécanique constitue un autre défi de taille. Les dalles solaires doivent supporter le passage répété de véhicules lourds, avec des forces de compression, de cisaillement et d’abrasion qui peuvent rapidement dégrader les matériaux. Cette exigence impose des compromis sur la transparence et donc sur l’efficacité énergétique.
L’adhérence représente également une contrainte fondamentale pour la sécurité routière. Les matériaux utilisés doivent offrir une friction suffisante pour éviter les accidents, ce qui entre en contradiction avec la nécessité d’une surface lisse favorisant la transmission de la lumière vers les cellules photovoltaïques.
Enfin, les routes sont soumises à de multiples agressions : salissures (huile, poussière, feuilles), ombrage partiel (par les véhicules, la végétation), variations thermiques extrêmes, actions chimiques (sel de déneigement, pollution) et usure mécanique. Ces conditions hostiles réduisent considérablement la durée de vie des cellules photovoltaïques, pourtant conçues pour fonctionner plus de 20 ans dans des conditions optimales.
Ces contraintes techniques expliquent pourquoi les routes solaires, séduisantes en théorie, se heurtent à d’importants obstacles pratiques qui compliquent leur déploiement à grande échelle et remettent en question leur viabilité économique face à d’autres formes de production photovoltaïque.
Projets emblématiques et retours d’expérience en france
La route solaire de tourouvre : analyse d’un échec coûteux
Promesses initiales et réalité des performances
Le 22 décembre 2016, la ministre de l’Environnement Ségolène Royal inaugurait à Tourouvre-au-Perche (Orne) le premier kilomètre de route solaire en France. Ce projet ambitieux, réalisé par Colas avec sa technologie Wattway, représentait un investissement de 5 millions d’euros pour équiper 2800 m² de chaussée. Les promesses étaient à la hauteur de l’investissement : produire 767 MWh par an, soit l’équivalent de l’éclairage public d’une ville de 5000 habitants, avec l’ambition annoncée de déployer cette technologie sur 1000 km de routes françaises d’ici 2020.
La réalité s’est révélée bien différente. Dès la première année d’exploitation, en 2017, la production s’est établie à seulement 149,5 MWh, soit deux fois moins que les 297,7 MWh attendus selon le site BDPV qui a suivi la production mois après mois. La situation s’est encore dégradée en 2018, avec des performances encore plus faibles, sans que les chiffres précis ne soient communiqués officiellement.
Plusieurs facteurs expliquent cet écart considérable entre promesses et réalité. D’abord, le choix du site en Normandie, région peu ensoleillée, s’expliquait principalement par la proximité avec l’usine de fabrication, au détriment du potentiel solaire. Ensuite, les estimations initiales n’avaient pas suffisamment pris en compte l’impact de l’ombrage créé par les véhicules, les salissures accumulées sur la chaussée, et la position horizontale des panneaux qui réduit considérablement l’efficacité énergétique.
Problèmes de résistance et de maintenance rencontrés
Au-delà des performances énergétiques décevantes, la route solaire de Tourouvre a rapidement montré des signes de dégradation physique. Dès la première année d’exploitation, la chaussée a nécessité d’importants travaux de maintenance. Certaines dalles se sont fissurées sous le poids du trafic, d’autres se sont décollées, tandis que le revêtement supérieur s’est dégradé, perdant sa transparence initiale et réduisant encore davantage le rendement énergétique.
Face à ces problèmes, une limitation de vitesse a dû être instaurée pour réduire les nuisances sonores et limiter les contraintes mécaniques sur les dalles. Cette mesure, si elle a permis de prolonger la durée de vie de l’installation, a également illustré les contradictions inhérentes au concept même de route solaire : comment concilier fonction routière et production d’énergie sans compromettre l’une ou l’autre ?
La durée de vie des installations s’est révélée bien inférieure aux prévisions. Alors que les panneaux solaires classiques ont une durée de vie de 25 à 30 ans, la route solaire de Tourouvre n’était garantie que 3 ans par Colas. Sept ans après leur installation, en mai 2024, les panneaux photovoltaïques ont finalement été retirés, marquant l’échec définitif de cette expérimentation à grande échelle.
Les expérimentations à plus petite échelle : labège, marseille et vendée
Suite au projet de Tourouvre, plusieurs expérimentations à plus petite échelle ont été menées en France. À Labège, au sud de Toulouse, le Sicoval (communauté d’agglomération) a testé une portion de 30 mètres de route équipée de panneaux Wattway. Ce projet plus modeste, d’un coût de 160 000 euros HT subventionné à 70%, visait à alimenter en électricité un bâtiment du Sicoval situé à proximité.
À Marseille, un projet d’installation de route solaire sur la rocade L2 a été annoncé mais n’a finalement pas abouti. Ségolène Royal s’était déplacée en 2017 pour la pose de la « première plaque de route solaire » de la rocade, mais le projet a été abandonné face aux réalités techniques et économiques, notamment les embouteillages fréquents qui auraient considérablement réduit la production d’électricité.
En Vendée, à Bellevigny, une autre expérimentation s’est soldée par un échec prématuré. L’installation, mise en service en 2017, s’est retrouvée inutilisable après seulement 18 mois. Remplacée en mai 2018, elle montrait déjà des signes de vétusté peu après, confirmant les problèmes structurels de durabilité de cette technologie dans des conditions réelles d’utilisation.
Ces différentes expérimentations à échelle réduite ont confirmé les difficultés rencontrées à Tourouvre, tout en démontrant que même avec des ambitions plus modestes, la technologie des routes solaires peinait à atteindre un niveau de performance et de fiabilité satisfaisant.
Bilan économique et énergétique des installations françaises
L’analyse économique des routes solaires françaises révèle un déséquilibre flagrant entre investissements et retours. À Tourouvre, le coût d’investissement s’élevait à près de 14 €/W, soit un niveau astronomiquement plus élevé que les installations photovoltaïques classiques déjà sous la barre des 1 €/W à la même période.
La production effective d’électricité, bien inférieure aux prévisions, a encore dégradé ce ratio. Le mégawattheure produit par la route solaire est revenu à un coût environ 13 fois supérieur à celui d’une centrale solaire conventionnelle. À cette inefficience s’ajoutent les coûts de maintenance élevés, non anticipés initialement, et la durée de vie très limitée des installations (3 à 5 ans contre 25 à 30 ans pour des panneaux classiques).
Type d’installation | Coût d’investissement (€/W) | Production annuelle (kWh/kWc) | Durée de vie (années) | Coût du MWh (€) |
---|---|---|---|---|
Route solaire (Tourouvre) | 14 | ~500 | 3-5 | ~420 |
Centrale solaire au sol | 0,8-1 | 1200-1400 | 25-30 | ~40 |
Ombrière solaire | 1,5-1,8 | 1100-1300 | 25-30 |
Position des autorités publiques face aux résultats obtenus
Face aux résultats décevants des expérimentations, les autorités publiques françaises ont progressivement revu leur position. Le ministère de la Transition écologique a officiellement abandonné l’objectif initial de déployer 1000 km de routes solaires d’ici 2020. L’ADEME, dans un rapport d’évaluation publié en 2019, a souligné le manque de viabilité économique des routes solaires dans leur configuration actuelle.
Les collectivités territoriales, initialement enthousiastes, se sont montrées plus prudentes dans leurs investissements. Plusieurs projets en cours d’étude ont été suspendus ou réorientés vers des solutions plus conventionnelles. Cette évolution reflète une prise de conscience générale : les routes solaires, dans leur forme actuelle, ne constituent pas une solution efficiente pour la transition énergétique.
Panorama international des routes solaires
Les Pays-Bas et le projet SolaRoad : enseignements clés
Le projet SolaRoad aux Pays-Bas, lancé en 2014 à Krommenie, offre des enseignements précieux. Cette piste cyclable solaire de 70 mètres a produit plus de 9800 kWh la première année, dépassant les attentes initiales. Toutefois, les modules ont nécessité plusieurs modifications techniques suite à des problèmes de délamination de la couche supérieure.
Les Néerlandais ont adopté une approche pragmatique, en ciblant d’abord les pistes cyclables plutôt que les routes à fort trafic. Cette stratégie a permis de tester la technologie dans des conditions moins contraignantes et d’optimiser progressivement les solutions techniques.
Expérimentations américaines et canadiennes : approches et résultats
Aux États-Unis, Solar Roadways a développé des prototypes plus sophistiqués intégrant LED et systèmes de chauffage. Malgré un financement participatif record de 2,2 millions de dollars en 2014, les installations pilotes ont révélé des problèmes similaires à ceux rencontrés en Europe : coûts élevés, fragilité des matériaux et rendement énergétique limité.
Au Canada, plusieurs projets expérimentaux ont été menés dans des conditions climatiques extrêmes, notamment en Ontario. Ces tests ont mis en évidence des défis supplémentaires liés au gel-dégel et au déneigement, compromettant davantage la durabilité des installations.
Initiatives asiatiques : chine, japon et corée du sud
La Chine a inauguré en 2017 une route solaire de 1 km dans la ville de Jinan, province du Shandong. Cette installation, qui combine trois couches (transparente, photovoltaïque et isolante), a démontré une meilleure résistance que les projets européens, mais avec un coût de production toujours élevé.
Au Japon, des expérimentations plus modestes se concentrent sur l’intégration de cellules photovoltaïques dans les parkings et les aires de repos. La Corée du Sud privilégie quant à elle le développement de surfaces photovoltaïques sur les infrastructures routières annexes plutôt que sur la chaussée elle-même.
Comparaison des performances selon les conditions climatiques
L’analyse comparative des différentes expérimentations mondiales révèle une forte corrélation entre les conditions climatiques et les performances. Les installations dans les régions à fort ensoleillement montrent logiquement de meilleurs rendements, mais souffrent davantage des problèmes de surchauffe. Les zones tempérées offrent un compromis plus favorable, tandis que les régions froides cumulent les difficultés techniques.
Alternatives aux routes solaires : solutions plus viables
Le concept de « solar serpent » et les toitures solaires sur autoroutes
Le « Solar Serpent » propose une approche novatrice : installer des panneaux solaires en hauteur, au-dessus des voies de circulation. Cette solution présente plusieurs avantages : orientation optimale des panneaux, absence de contraintes mécaniques liées au trafic, et protection des véhicules contre les intempéries.
Des projets pilotes en Allemagne et en Suisse démontrent la viabilité de ces installations surélevées, avec des rendements énergétiques jusqu’à quatre fois supérieurs aux routes solaires pour un investissement comparable.
Murs anti-bruit photovoltaïques le long des axes routiers
L’intégration de panneaux solaires dans les murs anti-bruit constitue une alternative particulièrement pertinente. Ces installations combinent deux fonctions essentielles tout en optimisant l’utilisation de l’espace. En Suisse, plusieurs tronçons autoroutiers équipés de tels dispositifs affichent des performances encourageantes.
Ombrières solaires sur parkings et aires de repos
Les ombrières solaires sur parkings représentent actuellement la solution la plus mature et économiquement viable. Elles offrent un triple avantage : production d’électricité, protection des véhicules et optimisation d’espaces déjà artificialisés. De nombreuses installations en France et en Europe démontrent leur rentabilité avec des temps de retour sur investissement de 8 à 12 ans.
Utilisation des accotements et terre-pleins centraux
L’installation de panneaux solaires sur les accotements et terre-pleins centraux des autoroutes commence à se développer. Ces espaces, souvent sous-utilisés, permettent un déploiement photovoltaïque sans impact sur la circulation et avec une orientation optimisée.
Avenir et perspectives des routes solaires
Analyse coût-bénéfice face aux autres solutions photovoltaïques
L’analyse économique comparative démontre clairement que les routes solaires restent largement moins rentables que les alternatives conventionnelles. Avec un coût de production du MWh parfois dix fois supérieur aux installations classiques, leur viabilité économique semble compromise sans rupture technologique majeure.
Innovations technologiques prometteuses pour améliorer la viabilité
De nouvelles approches technologiques émergent, notamment l’utilisation de matériaux plus résistants comme le graphène ou de cellules photovoltaïques de nouvelle génération. Ces innovations surprenantes de l’enrobé écologique pourraient améliorer significativement les performances tout en réduisant les coûts.
Niches d’application potentiellement pertinentes
Certaines applications spécifiques pourraient justifier l’utilisation de routes solaires : zones piétonnes, pistes cyclables ou parkings à faible trafic. Ces contextes moins contraignants permettraient d’exploiter les avantages de la technologie tout en minimisant ses inconvénients.
Position des experts et perspectives d’évolution du marché
La majorité des experts s’accorde sur un constat : les routes solaires, dans leur conception actuelle, ne constituent pas une solution viable à grande échelle. L’avenir du secteur réside probablement dans des applications ciblées et dans l’exploitation des infrastructures routières annexes plutôt que dans la transformation des chaussées elles-mêmes.